Marcher sur l’eau avec Aïssa Maiga

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Présenté dans la section consacrée à l’écologie, le film-documentaire Marcher sur l’eau d’Aïssa Maiga a été l’un de nos coups de cœur du Festival de Cannes 2021.

Ce film a déjà remporté de nombreux prix dont : Le coup de cœur du public au Festival Atmosphères de Courbevoie, le prix du Jury au Porquerolles Film Festival, le prix du meilleur documentaire au Festival Vive Le Cinéma de Lecce et au Festival Cinemambiente de Turin, deux prix majeurs lors de la 27ème édition du FESPACO, Festival Panafricain du cinéma : le Prix de l’Etalon d’argent du film documentaire et le Prix Spécial Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine du documentaire.

Enfin, Marcher sur l’eau a remporté vendredi 22 octobre dernier, le Prix “Honorable Mention dans la catégorie Environnement” lors de la 20ème édition du Innsbruck Nature Film Festival.

A l’occasion de la sortie de ce film disponible depuis le 10 novembre 2021, Aïssa s’est confiée à ESIMBI Magazine.

Propos recueillis par Tina Lobondi.

ESIMBI Magazine : D’où vous est venue l’idée de réaliser ce documentaire ?

Aïssa Maiga : C’est Guy Lagache qui était à l’initiative de ce projet. Il a développé le film, il a fait les premiers repérages avec le même producteur, Yves Darondeau. Il se trouve que Guy Lagache n’a pas pu faire le film pour des raisons professionnelles. Il s’agissait de réaliser un film sur la question du réchauffement climatique en Afrique de l’Ouest. C’était en juin/juillet 2018. A l’époque, je n’avais rien réalisé du tout. J’avais fait un premier film qui s’appelait Regard noir que j’ai co-réalisé avec Isabelle Simeoni.

J’ai été frappée par le sujet car je viens moi-même du Sahel, du Sénégal et du Mali. Et concernant le Mali, j’ai des souvenirs de mon enfance, de mon adolescence dans la région de Gao, de ma grand-mère, de mes tantes, de mes cousins, de mes cousines… Tous ces souvenirs mêlés à l’idée de raconter l’histoire d’une communauté qui est dans un combat pour l’eau, tout ça faisait sens.

Quel est le message que vous souhaitiez transmettre à votre audience ?

L’idée, c’était de donner à voir une réalité que beaucoup de gens ignorent. On sait qu’il y a une très grande pauvreté même en Europe. Il y a un million d’enfants qui vivent sous le seuil de pauvreté en France. Il y a des gens qui font face à de grandes difficultés, et pourtant, on est à des années lumières de se douter de ce qu’est vraiment le quotidien d’une partie de la planète face à la question de l’eau.

C’était très important pour moi de montrer cette réalité, mais de la montrer avec de l’intérieur. Moi, je ne suis pas une spécialiste de la question climatique, ni de la question de l’eau. Je ne fais pas de politique. C’est vraiment une démarche artistique au sujet de quelque-chose qui concerne la planète entière. Je l’ai fait parce que je suis persuadée que, si on connecte véritablement les êtres humains à ce que sont d’autres êtres humains, on peut avoir le début d’une véritable prise de conscience.

Photo : Films du losange.

“A travers ce film, il y avait quelque-chose que j’ai vraiment reconnu et que je pouvais filmer et raconter.”

Aïssa Maiga.

Y’a-t-il un moment qui vous a marqué lors du tournage ?

Il y a beaucoup de moments qui m’ont marquées comme ce fameux premier jour où on arrive. Il y avait déjà une partie du travail qui avait été faite. Guy Lagache avait fait les repérages. Je me suis assise dans la salle de classe, derrière Houlaye. Elle n’avait aucune attention du fait que je pouvais la filmer plus que les autres. Elle était au courant de rien. Je n’étais pas certaine qu’en la rencontrant, la magie allait opérer. Quand j’ai sorti mon téléphone portable et j’ai filmé, j’ai vu une personne, de 14 ans certes, mais d’une très grande profondeur et avec beaucoup, beaucoup de grâce.

J’ai vu quelque-chose qui m’a énormément touchée car pour moi, c’est une forme de quintessence de ce qu’on peut observer dans beaucoup de pays africains. Il y a une très grande puissance, et parfois cette puissance ne peut pas complètement s’exprimer parce que, le contexte culturel fait que l’on doit parfois rester à sa place. A travers ce film, il y avait quelque-chose que j’ai vraiment reconnu et que je pouvais filmer et raconter.

Photo : Films du losange.

Vous êtes une actrice engagée qui lutte pour la cause des noires ou encore sur le climat, quelle est votre source d’inspiration ou de motivation ?

J’ai toujours eu envie d’avoir un métier qui a un impact sur la société. Le cinéma et la télévision passent par là. Je ne suis pas là que pour faire des films ultra militants. J’aime aussi les comédies légères, les drames historiques etc… Mais c’est vrai que je ressens le besoin de transmettre des idées, des valeurs, des histoires qui ne sont pas connues, un point de vue sur le monde qui n’est pas souvent exprimé dans les films. Je dirais que ma source d’inspiration première, c’est évidemment mon père qui était journaliste. C’était avant tout un super papa ! Quelqu’un de très lumineux. C’était vraiment le tonton que tout le monde adorait parce que c’était l’adulte qui parlait aux enfants. Il les conseillait, les faisait rire… Et avec moi, il était pareil. Outre le manque terrible que j’ai ressenti à sa mort quand j’avais 8 ans, il m’a laissé aussi un héritage du fait de ses prises de positions politiques notamment au Burkina-Faso auprès de Thomas Sankara au début des années 1980.

Par ailleurs, j’ai aussi pas mal de gens engagés. A la maison, on parlait toujours de politique. C’était normal. Mais j’ai découvert plus tard que ce n’était pas comme ça dans toutes les familles (rires). Ma source d’inspiration ce sont aussi, toutes ces voix qu’on entend beaucoup plus facilement qu’auparavant comme les voix historiques, des personnalités qui ont laissé leur empreinte dans l’histoire ou des personnalités du monde d’aujourd’hui.

Le documentaire a été projeté au Festival de Cannes 2021. Comment avez-vous vécue cette 74e édition ?

C’était inattendu. Je me suis battue pour faire ce film dans des conditions qui n’étaient pas faciles d’un point de vue logistique. Par ailleurs, je voulais réussir à raconter cette histoire le mieux possible. Rendre aussi justice au vécu des gens. Quand la sélection cannoise est arrivée, ça a été très gratifiant parce que je me suis dit, ce film va avoir une résonnance. Le Festival de Cannes offre ça. Il offre une visibilité. Cette reconnaissance m’a fait beaucoup de bien et me donne de la force pour la suite. C’est très émouvant quand on a fait un documentaire comme ça de voir, comment des équipes bossent pour le faire exister.

Photo : Films du losange.

Quels ont été les retours sur “Marcher sur l’eau” ?

Ils ont tous été très bons, que ce soit au niveau de la presse ou des distributeurs internationaux. Le film a un très bel accueil. Il y a aussi un effet surprise, parce que, quand on dit documentaire, on ne s’attend pas forcément à cette forme-là. A ce type de narration, ce type d’image très soigné. Certains journalistes m’ont dit qu’ils s’attendaient à quelque-chose de très militant et peut-être moins sensible. Mais dans l’ensemble, la réception du film est très belle. Houlaye marque les esprits, l’instituteur aussi… Beaucoup de journalistes sont pressés de montrer le film à leurs enfants. J’ai aussi hâte de montrer le film à des écoliers, des collégiens, des lycéens…

Parlons mode : Quelle est selon vous, la tenue idéale pour une montée des marches ?

La sélection cannoise a été annoncée très tard. J’avais très peu de temps pour choisir la tenue, la valider etc. J’étais très heureuse de porter la tenue Radical Rose. Mais ce qui comptait pour moi, c’était de porter une tenue qui ne soit pas ostentatoire parce que je ne venais pas en tant qu’actrice pour un film dont j’avais le rôle principal. Je venais en tant que réalisatrice pour raconter ce que vivent les populations sahéliennes face à la question de l’eau. Je ne voulais pas arriver avec un truc très fastueux. 

Si vous deviez définir votre style vestimentaire en trois mois, que serait-il ?

Je dirais qu’il est féminin, vraiment. Plutôt sobre et assez simple. En trois mois : féminin, simple et chic (rires).

Qu’est-ce que vous aimeriez dire à l’audience internationale qui va voir le film ?

Je dirais que ce film, c’est vraiment un voyage. On est transporté dans un endroit que je trouve magnifique. Je trouve que la poésie des pays du Sahel, la beauté des visages… tout ça l’emporte que les difficultés de la vie. Il faut le regarder le film en famille, le partager, le regarder une deuxième fois. Je pense que c’est important que des jeunes voient ce film, y compris les enfants. Ils verront une réalité africaine qu’ils ne connaissent pas.