Mounia Aram : “Je suis une femme issue de la diversité qui n’a pas de diplôme”

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Française d’origine marocaine, Mounia Aram est la fondatrice et gérante de la Mounia Aram Company, une société de distribution et de production spécialisée dans l’animation africaine. Lauréate de Meet Africa, elle est accompagnée dans l’ouverture de sa filiale au Maroc qui prendra la forme d’un studio d’animation africaine et assurera également la prestation de service des studios étrangers.

Partie de rien et n’ayant aucun diplôme, Mounia Aram a su, au fil de sa détermination et de ses expériences américaines, se bâtir un réseau et se faire un nom dans l’industrie de l’animation. Elle raconte son parcours dans cette interview accordée à ESIMBI Magazine.

Propos recueillis par Kevin Sonsa-Kini.

ESIMBI Magazine : Bonjour Mounia. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Mounia Aram : Je suis originaire de Trappes dans les Yvelines. J’ai fait de l’improvisation théâtrale. Ça a joué un rôle très important dans mon parcours. J’ai fait de l’impro en classe de seconde. J’avais 15 ans. J’étais dans l’équipe de Jamel Debbouze. Nous étions de la même génération. Quand il a commencé à monter sur scène, je l’ai accompagnée. J’étais sa costumière. J’avais 18 ans. On est allé faire une tournée au Maroc. Et ensuite, quand sa carrière a décollé, moi de mon côté j’ai continué mes études de langues orientales à l’INALCO Paris. J’ai fait une option arabe. Je me suis arrêtée à la licence que je n’ai pas validée parce que je m’ennuyais. Je ne voyais pas d’avenir pour moi avec cette formation. Je me suis dit que j’allais me retrouver à travailler comme enseignante, chercheure, journaliste… Mais moi, c’était surtout le monde du spectacle qui m’attirait car j’avais aimé cette expérience avec Jamel. Toute cette effervescence me manquait. J’ai commencé à envoyer des CV un peu partout à Paris et malheureusement je suis tombée sur une personne pas très sympa qui travaillait pour Jamel à l’époque et qui m’a appelée. Elle m’a dit : « Tu arrêtes de mettre son nom dans ton CV. Tu n’as jamais travaillé pour lui ! ». Et là, je me suis effondrée ! Pendant ce temps, moi je travaillais comme hôtesse d’accueil et je me demandais ce que j’allais devenir. J’avais la chance d’avoir une sœur qui vivait à San-Francisco. Son mari travaillait dans l’animation japonaise.

Du coup, je suis allée aux Etats-Unis. J’ai passé un an là-bas. J’ai appris toutes les facettes du métier. Petite, je regardais beaucoup les dessins animés mais je ne connaissais pas l’industrie de l’animation. C’est une vraie machine. Aux Etats-Unis, quand on n’a pas de diplôme, on se base vraiment sur la personnalité. Les gens ont senti que j’avais envie d’apprendre et que j’étais dynamique. J’étais assistante des ventes aux chaînes de télé.  Mais à un moment donné, il fallait bien que je rentre en France. Je suis revenue complètement bilingue. Je me suis dit que j’allais continuée à travailler dans cette industrie que j’ai découvert et qui me passionne. J’avoue que ça a été un peu plus dur en rentrant en France car ce pays n’a rien à voir avec les Etats-Unis. Mais je n’ai rien lâché ! J’ai commencé par travailler dans des postes d’assistante. J’ai eu des CDD, des remplacements de congé maternité…

Vous avez fondé en 2019 la société de production Mounia Aram Company. Que proposez-vous à travers cette société ?

Le fil conducteur de cette société c’est l’animation. C’est mon métier et ma passion. J’ai aussi voulu concilier mes engagements et mon expertise. Il y a trois mots-clés : Afrique, diversité et animation. Je fais la mise en relation entre les producteurs africains et étrangers puis j’assure la distribution. En parallèle de cela, je fais beaucoup de prises de paroles pour sensibiliser les gens à ces sujets. 

Trouvez-vous qu’on manque de diversité en Europe ?

On ne voit pas assez de diversité en Europe, notamment dans les programmes à destination de la jeunesse. Il y a du progrès mais ce n’est pas encore ça. Le chemin est long.

Pensez-vous qu’il est plus difficile pour une femme d’origine africaine ou maghrébine de s’imposer dans le milieu ?

C’est difficile pour une femme (rires). Moi-même j’ai accumulé les difficultés. Je suis une femme issue de la diversité qui n’a pas de diplôme. Mais je suis la preuve vivante que ça marche. J’ai connu le sexisme, le harcèlement sexuel. Mais ça, beaucoup de femmes l’ont vécues. Je n’ai pas forcément vécu le racisme mais le plus gros stéréotype que j’ai vécu c’est à mon retour des Etats-Unis. Je travaillais dans les ventes télé et je pensais que je m’occuperais d’une zone géographique qui sont les Amériques (Amérique du Nord et Amérique Latine). Et on m’a dit : « Tu t’occupes du Moyen-Orient ». Pour moi, c’était cliché ! Les clichés ont la dent dure. Souvent, quand on sait que j’ai une vie de famille, on me demande : « Comment tu fais avec tes enfants ? ».  Ce sont des questions qu’on ne pose pas à un homme qui a le même statut que moi, qui est aussi chef d’entreprise et qui voyage autant que moi.  Avec mon mari, on s’est toujours organisé. Quand je ne suis pas là, il s’occupe des enfants. Bref, il y a un équilibre entre nous.

Vous développez également une filiale au Maroc. Pouvez-vous en dire plus ?

C’est une filiale qui a la forme d’un studio d’animation. C’est un studio d’animation dédié aux projets africains. Je veux surtout développer la formation sur place. Il est évident qu’il faut former les talents parce que, certes ils ont du potentiel, mais quand on est autodidacte dans tout ce qui est technique et qu’on veut atteindre un niveau international, il faut quand-même maîtriser certains logiciels et certaines techniques. En parallèle, je veux continuer à monter le studio, former en interne et, potentiellement, monter des écoles d’animation.

En septembre 2020 vous avez été élue membre de l’Académie des Arts et des Sciences de la Télévision, organisatrice des Emmy Awards. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Déjà, quand l’Académie m’a sollicitée pour être membre du jury des Emmy Awards, j’ai dit waouh ! C’est la preuve que, même sans avoir fait l’école qu’il fallait ou le parcours qu’il fallait, je suis arrivée à un certain niveau. Je suis toujours en train d’apprendre.  Je me remets tout le temps en question.

Qu’est-ce que ça vous a fait de remporter le « Black in Animation » Award dans la catégorie cultural Innovator ?

J’ai eu la surprise de recevoir un mail de Black Women Animate qui m’annonce que j’ai été récompensée dans la catégorie innovation culturelle. Au début, j’ai cru que c’était une blague. Je ne savais même pas que j’étais nommée. Je me suis dit : « Je n’ai pas besoin du diplôme, j’ai le trophée » !

On imagine que vous êtes éternellement reconnaissante envers les Etats-Unis… 

Mon père qui a 86 ans m’a dit : « Ce n’est pas la France qui t’a remis un trophée ». Ce sont les Américains qui ont reconnu mon travail. Les plus grosses boîtes américaines m’appellent. Elles sont plus accessibles.

Avez-vous des conseils à donner aux jeunes femmes qui voudraient se lancer avec cette même ambition, que ce soit dans l’animation ou dans d’autres secteurs ?

Ma devise, c’est que la vie est trop courte. Il ne faut pas avoir de regrets, il faut y aller. Au pire si on se plante, on recommencera ou on fera autre chose. Il faut surtout vivre sa vie à fond parce qu’on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Il faut aussi ne pas s’arrêter à un diplôme. Il faut se former. Moi-même j’ai fait de la remise à niveau en anglais et j’ai appris tout au long de ma carrière et je continue d’apprendre. Il n’y a pas d’âge pour apprendre. Ce qui est important aussi, c’est de se bâtir un solide réseau. C’est aussi ce qui a fait que j’en suis arrivée là aujourd’hui.