Zanzibar, l’île aux multiples visages

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La chaleur est à son comble lorsque le Kilimanjaro Express quitte Dar es-Salaam avec à son bord une foule bigarrée de femmes enlacées dans leurs foulards, d’enfants joueurs et de touristes venus des quatre coins du monde accrochés à leur appareil photo ou à leurs Smartphones. Parmi eux, il y a Sahira et son bébé, venue voir sa grande sœur, Walter, un jeune touriste venu avec sa copine s’adonner au kite surf et Hamisi, un papa venu superviser les travaux de réfection de son hôtel. Tous ont en commun de naviguer vers l’île de Zanzibar située au large de la côte tanzanienne, cette île aux confins de l’Afrique, du Moyen Orient et de l’Inde, mondialement renommée pour ses épices et qui figurait déjà sur les cartes des aventuriers européens alors que l’intérieur de l’Afrique n’était qu’une vaste Terra Incognita. Île aussi qui a fait rêver tant de voyageurs mais qui était aussi un haut lieu de la traite des esclaves, la Gorée de l’Afrique orientale en quelque sorte.

A présent, nous quittons le port de Dar, laissant les grands immeubles flambant neuf en construction pour le vaste océan indien. Le bateau commence à tanguer, la brise se fait sentir mais cela ne semble pas perturber le sommeil des mamans tanzaniennes couchées à même le sol entre les rangées de sièges. Devant moi l’océan se profile, telle une immense étendue d’eau bleue azur à l’infini. Qu’il est loin le lac Kivu !

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J’étais en train de m’endormir lorsqu’on me réveille afin de remplir les formalités d’immigration. Pourtant Zanzibar fait partie de la Tanzanie – elle a même contribuée à son nom – mais malgré cela il me faut remplir la fiche, l’île apparaissant dans l’horizon. Au loin, la silhouette d’un minaret d’une mosquée se dessine sur la cote, puis les premiers toits en tôle de stone town. La ville se dévoile devant moi, sur une pointe rocheuse, magnifique. J’en ai vu des villes mais pas comme celle-ci. Elle semble irréelle, très ancienne, et son architecture me laisse songeuse. 

La chaleur étouffante a vite fait de me sortir de ma torpeur d’autant plus qu’il me faut affronter les formalités d’immigration. Mais après une petite demi-heure dans le port, me voilà à marcher dans les ruelles sinueuses de la vielle ville « de pierre » en référence à ces nombreuses maisons construites en pierres de corail par les sultans arabes ou les négociants indiens. Je déambule dans un véritable labyrinthe où les ruelles sont parfois si étroites qu’il est possible de toucher les murs de chaque côté de la rue en écartant ses bras. Les portes de bois sculptées sont aussi de toute beauté avec des dessins de fleurs, des frises, des inscriptions coraniques.

En regardant les balcons, j’imagine une princesse qui me regarde derrière comme dans les contes des mille et une nuit. L’atmosphère est bien agréable, les gens accueillant et mon Kiswahili de Goma passe très bien. C’est particulièrement le cas aux Forodhani Gardens.

Ici déambulent mamans, jeunes filles, touristes, enfants qui rivalisent d’audace pour plonger dans l’eau se faisant un malin plaisir à se faire photographier par les touristes, vendeurs de fruits de mer (calamars, poulpe, crevettes,…), vendeurs de jus de tamarin et de jus de canne à sucre et les dames à la recherche de clientes pour leur faire des tatouages au henné au milieu du fort fondé par les Portugais. Ils étaient les premiers européens à s’être installés sur l’île au 15ème siècle et qui furent chassés 200 ans plus tard par les sultans arabes. La nuit tombe bien vite mais la ville n’en est que plus belle, surtout depuis les terrasses des immeubles dont certaines abritent des restaurants.

Kizimkazi et la côte Sud

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Zanzibar est une grande île qui doit bien être quatre fois plus grande que l’île d’Idjwi. Une grande partie du littoral concentre les activités touristiques où se retrouvent beaucoup de touristes venus d’Europe, des États-Unis mais aussi du Japon, des Emirats Arabes Unis, de Dubaï ainsi que d’Amérique du Sud et plus rarement d’Afrique de l’Est. La pointe nord de l’île est réputée pour son activité touristique et son ambiance festive ainsi que la côte Est qui abrite les plus belles plages de l’île où le kite surfing est roi. Des touristes y viennent du monde entier pour cela de même que pour la plongée sous-marine. Moi j’ai plutôt envie d’aller vers le sud, au village de pêcheur de Dimbani/Kizimkazi, un endroit qui m’a été recommandé par un ami pour sa quiétude, la beauté du site, ses activités et sa vielle mosquée, qui serait la plus vieille d’Afrique de l’Est. Cette mosquée aurait été fondée par le peuple Shirazi – un peuple perse qui serait venu de l’actuel Iran – en 1107.

Dans ce village, les activités tournent autour du tourisme, il y a au moins 3 hôtels dans les environs où des locaux travaillent et des jeunes guides organisent différentes excursions et la pêche. A chaque retour d’un bateau de pêche, le fretin est immédiatement vendu aux femmes alors que le bateau est encore dans l’eau. Les gros poissons (au moins 100kg) sont eux immédiatement acheminés sur des dala dala (l’équivalent de nos bus, matatu) pour être vendus.

Plus à l’Est, sur la grande plage de Paje, les femmes s’adonnent à la culture des algues (mwani en Kiswahili). C’est là-bas que je rencontre Kazidja Ali. Pour nourrir ses 6 enfants, elle cultive des algues sur la partie de la plage qui se découvre à marée basse qu’elle fait ensuite sécher au soleil pendant trois mois à côté de sa maison avant de les vendre à des vendeurs ambulants. Ces algues servent dans la fabrication du savon et des bonbons. Elles sont cultivées sur toute la côte Est de Michamvi à la pointe sud de l’île apportant des revenus substantiels aux femmes.

Les femmes travaillent aussi la fibre de noix de coco. C’est sur la plage que j’ai rencontré Fatima, non loin des kite surfeurs. Elle nettoyait les fibres de noix de coco dans l’eau de mer pour faire des sortes de tapis pour essuyer ses chaussures (zuliya) et des cordes.

Le Ras Michamvi, paradis des plongeurs

En dépit des activités traditionnelles et de la pêche, le tourisme reste incontestablement l’activité principale sur les côtes de l’île. Je ne compte plus les hôtels et restaurants le long des plages qui proposent des chambres avec vue sur l’océan, des dégustations de fruits de mer (calamar, seiche, crevettes, homard, thon…) et des excursions en tout genre. Partout les hôtels semblent afficher complets et aux dires d’un manager d’un hôtel, l’offre hôtelière est insuffisante pour combler la demande. Il faudrait encore construire des hôtels. Faut dire que la période des fêtes de Noël est, avec les mois de juillet et d’août, le moment où il y a le plus de touristes sur l’île. Pendant la saison des pluies (avril-mai) certains hôtels ferment ou en profitent pour faire des travaux tandis que d’autres baissent leurs prix de moitié pour attirer les clients. 

Les plages de la région du cap Michamvi sont très belles. Ici le bleu se décompose entre le bleu marine de l’océan, différents tons azurés et le bleu turquoise dans le lagon (la partie comprise entre la barrière de corail et la côte). C’est d’ailleurs dans le lagon que se pratique une des activités qui attire le plus de touristes : la plongée sous-marine soit en apnée avec un masque pour regarder dans l’eau, un tuba pour respirer et des palmes pour avancer (snorkelling en anglais) ou bien la plongée en bouteille (scuba diving) qui permet d’aller explorer les fonds marins jusqu’à 30, 40 ou 50m pour les plus aguerris. Moi je me suis contenté de nager là où j’avais pied, la profondeur de l’eau me faisant peur, et de me promener le long de la côte. C’est comme cela que j’ai fait la connaissance d’Ali Kadi. Il est chauffeur de dala dala (minibus) mais il pratique la pêche à la ligne dans son temps libre.

Lorsque je l’ai rencontré, il venait d’attraper avec son hameçon accroché à un fil de nylon plusieurs petits poissons : des chandugua (qui ressemblent à de gros sambaza), des kobe (12-15 cm de long) et des kibamba (20 cm). Il vend une partie et mange l’autre partie ou bien donne du poisson à son grand père.

L’intérieur de l’île et les épices

Une visite de l’île n’aurait pas été complète sans visiter des cultures d’épices (viungo) à l’intérieur de l’île. L’île est en effet réputée pour sa production de clous de girofle (karafuu), poivre (pili-pili), cardamome (iliki), cannelle (dalasini), et noix de muscade (kungumanga). Les épices sont utilisées pour parfumer le riz (pilau), la viande, le poisson, le thé (chai), etc. La culture des épices représente la deuxième source de revenus de l’archipel de Zanzibar (Unguja & Pemba) après le tourisme.

Stone town et le souvenir de l’esclavage

J’ai décidé de consacrer mes derniers jours sur l’île à la visite de la vieille ville de Zanzibar. En effet, outre ses ruelles tortueuses, ses échoppes et marchés, ses épices, j’aimerais en savoir plus sur la traite esclavagiste qui a bâti la richesse de cette ville. Je me dirige donc vers l’ancien marché aux esclaves à côté de l’église anglicane. La cave du sous-sol d’une maison abrite encore le lieu où les esclaves étaient enchainés avant d’être vendus. Un monument symbolise ce lieu où l’esclavage a perduré officiellement jusqu’en 1871. Les esclaves provenaient de l’intérieur des côtes Est africaines (jusqu’à plus de 1000km de la côte) puis étaient transportés à Zanzibar par les Arabes pour être revendus au Moyen Orient. Zanzibar était en quelque sorte le Gorée de l’Afrique de l’Est. Et dire que tout cela se passait il y a seulement 145 ans… Ainsi s’achève mon séjour à Zanzibar, une île aux multiples facettes.

Par Esther N’sapu, journaliste photographe