L’Afrique fait son cinéma : Quel place pour le noir dans le 7ème art ?  

#Oscarssowhite, #Cesarssiblancs ou #BlacksCesars. Que ce soit au pays de l’Oncle Sam ou pour la France libre du Général De Gaulle, le constat est le même. Pour eux comme pour nous, plane le souci majeur de la représentation du noir dans l’industrie culturelle qu’est le cinéma. Si aux Etats-Unis, les acteurs afro-américains réussissent progressivement à déboulonner la vision que se fait l’impérialiste blanc du noir sur grand écran. En France aussi, des voix s’élèvent pour faire bouger les mentalités.  

Depuis quelques années, on voit se multiplier de véritables actions par des professionnels du secteur, amoureux de l’Afrique et de ses talents, qui mettent tout en œuvre pour ouvrir le champ des possibilités aux acteurs de la communauté. C’est dans ce contexte que s’est créé le festival international du film panafricain en 2004, ou qu’a vu le jour, le festival, l’Afrique fait son cinéma, créé par Blaise Pascal Tanguy, il y a deux ans.  

Si ces deux festivals portent des noms différents, ils ont pourtant, la même vocation : porter au-delà des frontières la richesse de la culture africaine et de ses talents, en donnant une vitrine à ces acteurs noirs, qui font des pieds et des mains pour réussir à se faire une place dans le 7ème art.  

 

Il est possible de tourner la problématique dans tous les sens. L’image du noir, la place du noir, la représentation du noir... Dans son article paru en juillet 2020, Le Figaro titrait : le cinéma français a-t-il peur du noir ? La seule interrogation qu’il y a derrière tous ces termes en réalité, c’est tout simplement, la question du noir. Lors des Césars 2020, l’actrice Aïssa Maïga avait bien résumé cette question du noir.  ″Ça fait plus de deux décennies que je ne peux pas m’empêcher de compter lors des réunions du métier... J’ai toujours pu compter sur les doigts d’une main le nombre de non-blancs.” 

La marraine de la deuxième édition de l’Afrique fait son cinéma, qui se tiendra au cinéma le Lincoln à Paris, les 22 et 23 décembre 2020, se positionne comme fer de lance d’une communauté mobilisée qui multiplient les actions marquantes pour ENFIN, se faire entendre. Et à juste titre. Car, aujourd’hui plus que jamais, être comédien noir en France, ce n’est pas se cantonner au rôle du nègre comique ou assujetti. Au même titre que le jeu d’acteur blanc peut être varié, le jeu d’acteur noir demande à être réévalué, à son unique, unité de valeur : un jeu d’acteur.  

C’est en ça que se trouve la force des festivals comme celui de l’Afrique fait son cinéma. Dans une interview son fondateur, Blaise Pascal Tanguy, déclarait : “Il est indéniable qu’un festival comme le nôtre permet de mettre en lumière le travail des cinéastes africains, et en particulier des comédiens. (…) Pendant cette rencontre, nous comptons projeter deux ou trois films africains, faciliter les rencontres entre les porteurs de projets, les producteurs, et bien entendu, tous les acteurs de l’industrie du cinéma. Je suis persuadé que les acteurs et actrices de cinéma africains et afro-descendants y trouveront leur compte.”  

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Trouver son compte, c’est de cela qu’il s’agit. Trouver son compte en tant qu’acteur noir dans une industrie qui jouit de sa liberté d’expression à travers des stéréotypes blessant, provenant du traumatisme de l’esclavage et de la discrimination.  

Car le cinéma tire son inspiration des scènes de vie qui se jouent en société. Ainsi, dans une société marquée par le racisme, comment le noir peut-il trouver sa place ? Et, comprenons-nous, pas “peut-il”, au sens, est-ce qu’il y arrivera ? Mais plutôt au sens, quels sont les moyens donnés et qu’il prend pour y arriver ?  

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L’enjeu, de l’organisation d’un tel festival à Paris, est bel et bien de montrer l’ampleur du talent des acteurs noirs aux professionnels du métier, qui peinent à se sentir concernés par la question de la représentation des minorités, parce qu’ils sont blancs.  

Avec en tête d’affiche, des grands noms du cinéma français et américains, que sont Aïssa Maïga et Eriq Ebouaney, le but est de dire, “nous sommes là, que vous preniez en considération notre appel ou pas, et on ne vous lâchera pas”. Quitte à faire les choses soient-mêmes...pourquoi pas ?  

 

 

De George Floyd à Adama Traoré : Ces morts qui font rugir la communauté noire

“I can’t breathe. I can’t breathe.” Inlassablement, George Floyd, répète ses mots pour faire entendre raison à l’un des policiers, qui du poids de son genou, fait pression sur son cou. Tenu immobilisé et menotté, George Floyd, 46 ans, décède le 25 mai dernier, d’un “arrêt cardiopulmonaire dû à une interpellation par la contrainte et la compression du cou”, comme le confirme son rapport d’autopsie. Un décès qui embrase la ville de Minneapolis, avant d’atteindre toutes les plus grandes villes des Etats-Unis puis du monde. Car si les violences policières paraissaient être une problématique propre au pays de l’Oncle Sam, la disparition de George Floyd, a favorisé l’éveil du monde face à la réalité des violences raciales dans certaines grandes nations, dont la France. Lassée de voir s’allonger, la liste des noms d’hommes et de femmes noirs, morts des suites d’interpellations fatales. Depuis 10 jours, d’un bout à l’autre du globe, la communauté noire s’unit pour crier sa colère et faire lever les consciences.  

L’histoire ne commence pas le 25 mai dernier. Aux Etats-Unis comme en France, l’histoire commence, en réalité, depuis l’époque coloniale. Depuis l’époque où une catégorie de la population a décidé de s’auto-proclamer supérieure à une autre catégorie. Aux Etats-Unis comme en France, l’histoire commence quand une partie du peuple qui constitue une nation, décide que sa couleur de peau lui attribue de fait, des droits et des privilèges, auxquels elle seule peut prétendre. En lisant cet article, vous vous demandez certainement pourquoi remonter au XVIIème siècle pour parler d’un problème qui survient au XXIème ? La véritable question serait plutôt, comment expliquer que l’histoire du XVIIème touche à ce point celle du XXIème ?

Pour beaucoup, la fracture entre noirs et blancs est tombée avec l’abolition de l’esclave, l’ère des droits civiques et la prohibition des lois ségrégationnistes.

En réalité, même si des efforts sont faits et que des lois sont promulguées. Le fait est que l’histoire, a forcément marqué de son empreinte, l’identité de chaque nation occidentale. Nos institutions se sont forgées sur l’héritage de ces conflits raciaux. Une réalité si difficile à accepter que durant des années, elle a été voilée. Insidieusement installée dans nos sociétés, le racisme a pris une forme plus discrète, voire plus sournoise. Matérialisée par le contrôle au faciès, la discrimination au logement, ou la mort d’un citoyen des mains de policiers blancs. C’est cette forme de sournoiserie que dénonce aujourd’hui toute la communauté noire.   

 

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Mort de George Floyd : Le cri de la conscience noire 

Selon les mots de Philonise Floyd, ce qui a véritablement causé la mort de son frère George, c’est “la pandémie de racisme et de discrimination”, qui sévit à travers le monde. Al Sharpton, figure de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, a lui dénoncé, le “dysfonctionnement du système judiciaire américain”, avant d’exhorter la communauté noire à rendre justice “au nom de George”. Tous les deux s’accordent, George Floyd a changé le monde. Par sa mort, il devenu l’icône des violences policières à travers le monde. La brutalité de son décès a fait naître en chacun, cette soif, ce besoin de justice et d’égalité. Son tragique destin, a permis de libérer, ce que Steve Biko a appelé, la conscience noire. Car bien que ce principe ait été défendu, il y a plus de quarante ans par Monsieur Biko, héros de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud, il n’a jamais été plus actuel qu’aujourd’hui.  

Comme George FloydSteve Biko s’est éteint des suites de brutalités policières, en septembre 1977. Avant sa mort, il défendait le Mouvement de la conscience noire en ces termes : “Le principe de base de la Conscience noire est le rejet par l’homme noir du système de valeurs qui veut faire de lui un étranger dans son propre pays et qui détruit jusqu’à sa dignité humaine.”  

Si le contexte pour Steve Biko était différent, ses mots font terriblement écho à la situation de la communauté noire aujourd’hui.  

Après Breonna TaylorSean ReedMichael Brown, Eric Gardner, et tant d’autres. George Flyod est le mort de trop pour les afro-américains et les noirs du monde entier. 

Mais permettre à la conscience noire de s’exprimer à un prix. 

En 2016, le joueur de football américain Colin Kaepernick tentait d’éveiller la conscience noire en relançant le mouvement “Take a knee”, pour dénoncer les violences policières, après le décès de Freedie Gray, en 2015.  

“Je ne vais pas afficher de fierté pour le drapeau d’un pays qui opprime les noirs et les gens de couleur”, avait-il déclaré. Ce cri de conscience noire lui a coûté sa carrière.  

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Et la France dans tout ça...  

Comme aux Etats-Unis, la question des violences policières existe aussi en France. Comme aux Etats-Unis, prendre la parole pour dénoncer, c’est risquer de sacrifier sa carrière. C’est risquer de sacrifier son rêve à sa cause. Il y a en France, ce malaise noir, voire même, ce malaise de l’immigré. Tenter d’éveiller les consciences sur la réalité du racisme en France, c’est risquer d’être perçu comme un gauchiste ou un communautariste. Remettre en cause les institutions, c’est mettre ses compatriotes mal à l’aise.  

Face au racisme et aux violences policières, la France n’a toujours pas retiré son voile. Invitée à débattre sur le sujet, dans l’émission, On refait le monde sur RTL, la journaliste Rokhaya Diallo, a été confrontée à ce que certains appellent “le déni français”. Au cours du débat, la journaliste rappelle que depuis 1999, la France était régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits humains, pour des faits de “violences policières racistes”. Un discours qu’ont eu du mal à entendre ses interlocuteurs, Jean-Christophe Buisson et Laurence Taillade. (cf: vidéo ci-dessous).

Dans le déni, de ce que vit au quotidien une partie de sa population, la France a pourtant, elle aussi, sa liste de victimes à déplorer. L’affaire George Floyd a replongé les citoyens français au cœur de l’affaire Adama Traoré. Aujourd’hui perçue comme l’une des figures de la lutte contre le racisme et les violences policières en France. Assa Traoré, ne cesse, depuis 2016, de se battre pour rendre justice à son frère Adama. Mort à 24 ans, suite à une interpellation fatale, des forces de police. Encore aujourd’hui, la justice française peine à faire la lumière sur cette affaire.  

Sur le plateau de BFMTV, Assa Traoré dénonce : “Bien évidemment, il y a du racisme dans la police française. Quand on voit toutes les violences policières qu’il y a. Elles sont majoritairement sur les personnes de couleur. Aujourd’hui, nous, la famille Traoré, nous demandons juste la vérité et la justice dans l’affaire Adama Traoré, et ça, c’est très important.”  

Consciente que ce combat, elle ne peut le gagner seule, Assa Traoré fait appel à la sensibilité morale des policiers. “Que les bons policiers enlèvent les brebis galeuses et fassent honneur à leur uniforme.” 

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Si depuis quatre ans, Assa Traoré est une voix qui porte. Elle est aussi, incontestablement devenue, une voix qui compte. Son implication et son influence, ont aidé l’affaire Adama Traoré à passer de combat familial à combat national.